Louis et moi, Jules et Gustave Un samedi qu'il faisait beau On est descendu à la cave Chez le conseiller de Lavaux. Dessous la voûte séculaire : «Respect ! Approchons-nous, Messieurs !» Voici dans l'ombre et le mystère Treize tonneaux silencieux. Le guillon. La main qui opère Doucement, juste ce qu'il faut Et hop, referme quand le verre A fait son plein de vin nouveau. «Santé ! Santé !» Les fronts se plissent. On tâte. On regoûte. «Il va bien» Fait le grand Gustave qui lisse Sa moustache de Mérovingien.
{Refrain:} Boire un verre au tonneau Entre joyeux compères C'est tenir dans son verre Quand on a le cÂœur chaud C'est tenir dans son verre Tout le canton de Vaud !
Le conseiller tient la formule La dernière : «Un vin élégant. Il a droit à la particule C'est noble sans être arrogant !» «C'est un vin qui se laisse boire Fait Louis, bien mieux que du lait Vin de courtisan pour l'histoire Car il est flatteur au palais !» Puis on tire au tonneau d'en face. Même rite : on boit, on reboit. Jules dit : «C'est un vin de race La toute grande, c'est le roi !» Mais le suivant, mon Dieu, se drape Dans une telle majesté Qu'on s'écrie en chÂœur : «C'est le pape !» Et qu'on trinque à la papauté !
{au Refrain}
De cuve en fût, de verre en verre On arrive au nec plus ultra Chapeau messieurs, c'est Dieu le Père ! Y a rien à dire, il est extra ! Voici mieux encore et c'est grave Car au-dessus de Dieu, ma foi On ne voit rien. «Si, fait Gustave Le parti radical vaudois !» Gros rires francs ! Il fait bon vivre. Les tonneaux dansent joliment «Je commence à me sentir ivre.» «Fous-toi d'ça mon vieux et vois grand !» Fait Louis, qui soudain se trouble Car il voit si grand tout à coup Qu'il dit : «On est huit ! Je vois double !» Et tombe en criant : «Vive nous !»
{Au Refrain}
Place aux souvenirs militaires. Le conseiller est artilleur. Nous voilà tous à la frontière Gustave est fusil-mitrailleur «Tu te souviens, en mai quarante ? Ils ont failli sauter sur nous Alarme ! On dormait sous la tente Tout armés, nous voilà debout !» Fait le narrateur qui s'écroule Sous le tonneau, près de Louis Qui, pour dormir s'est mis en boule Et ronfle l'air épanoui. Laissons rêver en paix ces braves. Adieu, les amis. Bon sommeil. Nous voilà sortis de la cave En trébuchant dans le soleil !
Adieu Aloys, on se rentre Mais ton vin est si réussi Qu'il nous a mis du cÂœur au ventre En expulsant tous nos soucis. On va monter le long des vignes Suer tout ça dans la chaleur. Nous marcherons d'un pas très digne De mur en mur, vers les hauteurs ! Et de là-haut, face à la terre De terre en cep, de cep en vin De vin en fût, de fût en verre De verre en ventre, ô jus divin ! Nous te rendrons à la nature Au vieux cépage, sans façon En vue des libations futures Comme il est dit dans la chanson !