Dans la vieille cité française Existe une race de fer Dont l'âme comme une fournaise A de son feu bronzé la chair. Tous ses fils naissent sur la paille, Pour palais ils n'ont qu'un taudis, C'est la canaille, eh bien j'en suis.
Ce n'est pas le pilier de bagne, C'est l'honnête homme dont la main Par la plume ou le marteau gagne En suant son morceau de pain. C'est le père enfin qui travaille Les jours et quelquefois les nuits, C'est la canaille, eh bien j'en suis.
C'est l'artiste, c'est le bohème Qui sans souffler rime rêveur, Un sonnet à celle qu'il aime Trompant l'estomac par le cÂœur. C'est à crédit qu'il fait ripaille, Qu'il loge et qu'il a des habits, C'est la canaille, eh bien j'en suis.
C'est l'homme à la face terreuse, Au corps maigre, à l'Âœil de hibou, Au bras de fer, à main nerveuse, Qui sortant d'on ne sait pas où, Toujours avec esprit vous raille Se riant de votre mépris, C'est la canaille, eh bien j'en suis.
C'est l'enfant que la destinée Force à rejeter ses haillons Quand sonne sa vingtième année, Pour entrer dans nos bataillons. Chair à canon de la bataille, Toujours il succombe sans cri, C'est la canaille, eh bien j'en suis.
Ils fredonnaient la Marseillaise, Nos pères, les vieux vagabonds, Attaquant en quatre-vingt-treize Les bastilles dont les canons Défendaient la muraille Que de trembleurs ont dit depuis "C'est la canaille, eh bien j'en suis"
Les uns travaillent par la plume, Le front dégarni de cheveux, Les autres martèlent l'enclume Et se saoûlent pour être heureux Car la misère en sa tenaille Fait saigner leurs flancs amaigris, C'est la canaille, eh bien j'en suis.
Enfin c'est une armée immense Vêtue en haillons, en sabots Mais qu'aujourd'hui la vieille France Les appelle sous ses drapeaux On les verra dans la mitraille, Ils feront dire aux ennemis "C'est la canaille, eh bien j'en suis".